THEMA : La santé sexuelle, une affaire de spécialistes… ou une question de société ?
Inégalités, tabous, éducation : la santé sexuelle touche de nombreux aspects de la vie. Ce numéro Théma d’Interactions Santé, enrichi d’interviews, propose de mieux comprendre en quoi la santé sexuelle relève d’une responsabilité collective.
Parce que la santé sexuelle recouvre de multiples facettes, le colloque des Journées Sextraordinaires a réuni près de 400 professionnels et acteurs de terrain en novembre 2025 à Lyon.
Retrouvez ici un éclairage sur la thématique, ainsi que des interviews exclusives de nos intervenants !
Avec les clins d’œil de Tommy Dessine !
Santé sexuelle : ce qui se joue
Loin d’être un simple enjeu médical, la santé sexuelle touche à l’intimité, au bien-être, à l’identité et aux droits fondamentaux de chaque individu. Elle se décline en une approche positive aux antipodes de discours alarmistes et culpabilisants.
Contraception, infections sexuellement transmissibles, violences sexuelles, troubles du désir ou encore orientation affective : autant de thématiques complexes, parfois taboues, qui nécessitent une attention particulière.
Pourtant, cette notion demeure mal comprise, voire négligée dans de nombreux contextes sociaux et éducatifs. Face à cette complexité, une question se pose : la santé sexuelle doit-elle rester l’apanage des spécialistes — médecins, sexologues, psychologues — ou s’agit-il d’un domaine qui concerne l’ensemble de la société ?
Pour répondre à cette interrogation, il convient d’examiner le rôle des professionnels de santé, mais aussi les limites d’une approche strictement spécialisée, afin d’interroger la dimension collective, éducative et sociale de cette question essentielle.
Des spécialistes en première écoute
Les professionnels de santé jouent un rôle important dans la prévention, le diagnostic et le traitement des problématiques liées à la sexualité. Médecins généralistes, gynécologues, urologues, infectiologues ou sexologues sont donc en première ligne pour aborder des questions comme les infections sexuellement transmissibles (IST), la contraception, les dysfonctions sexuelles ou encore les violences sexuelles.
Ils sont également garants de l’accès à des dispositifs comme la vaccination HPV ou la prescription de la PrEP pour prévenir l’infection à VIH. Dans les faits, le dialogue reste insuffisant entre praticiens et patients, chacun n’osant pas aborder le sujet par crainte d’être intrusif ou d’être jugé. Par exemple, 41% des médecins généralistes trouvent difficile d’aborder la sexualité avec leurs patients. Pourtant, 90% des patients hommes souhaiteraient être interrogés, et seulement 40% y arrivent. [1]
L’INTERVIEW / Comment parler de sexualité avec ses patients ?
Avec Aurélie BOURMAUD
D’une approche strictement biomédicale à une stratégie plus large
L’approche biomédicale reste dominante et dans la plupart des politiques publiques de santé, la santé sexuelle est abordée sous l’angle de la prévention des risques, héritage entre autres des années 90 où la prévention du VIH faisait son entrée, notamment dans les établissements scolaires. Ainsi, la Stratégie nationale de santé sexuelle 2017–2030 insiste sur le dépistage, la contraception et la lutte contre le VIH/sida. Si ce cadre est nécessaire face à certains enjeux de santé publique, il ne prend pas toujours en compte la dimension affective, relationnelle et éducative de la sexualité. Les spécialistes de la santé mentale — psychologues, psychiatres ou sexothérapeutes — apportent alors une aide précieuse face aux souffrances psychiques liées à la sexualité, nécessitant une écoute professionnelle, dans un cadre confidentiel et bienveillant.
L’INTERVIEW / Quelles sont les avancées de la stratégie nationale de santé sexuelle ?
Avec Pascal PUGLIESE
La santé sexuelle : là aussi, des inégalités se jouent !
L’accès aux spécialistes reste inégal selon les territoires, le genre ou le statut socio-économique. Une étude de Santé Publique France (2021)[2] révèle que les jeunes, les personnes LGBTQIA+ ou les personnes en situation de précarité sont les plus exposés aux obstacles d’accès aux soins en matière de santé sexuelle. Pour palier ces difficultés, la création en mars 2025 des Comités Régionaux en Santé Sexuelle (CoReSS) vise à coordonner les acteurs sur les territoires.
L’INTERVIEW / Comment les CoReSS permettent-ils une approche plus large de la santé sexuelle ?
Avec Christine JACOMET & Patrick PELÈGE
La santé sexuelle ne se soigne pas qu’en cabinet !
Si le rôle des professionnels est incontestable, considérer que la santé sexuelle relève exclusivement de leur domaine serait réducteur. En effet, elle s’inscrit aussi dans une dimension personnelle, éducative et sociétale. Elle est profondément influencée par les contextes sociaux, culturels et économiques. Les inégalités d’accès aux soins, les tabous, les violences sexuelles, les discriminations basées sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre montrent bien que la santé sexuelle est aussi une affaire de justice sociale. Les normes imposées par la société peuvent créer des souffrances, des inhibitions ou des sentiments de honte. La société dans son ensemble a donc un rôle à jouer dans la construction d’un climat favorable à l’épanouissement sexuel et affectif de tous.
La prévention et l’éducation : des leviers essentiels
L’OMS, dans ses recommandations, insiste sur l’importance d’une éducation complète à la sexualité, qui ne peut se limiter à l’intervention des spécialistes médicaux. Cette éducation doit inclure des dimensions psychologiques, sociales, culturelles et éthiques. Elle concerne donc aussi bien l’école que la famille, les médias ou les institutions sociales. Comprendre son corps, apprendre le consentement, déconstruire les stéréotypes de genre ou encore connaître ses droits sont des étapes clés pour permettre à chacun de vivre une sexualité libre, épanouie et respectueuse.
L’UNESCO, dans ses lignes directrices internationales sur l’éducation à la sexualité (2018), plaide pour une approche participative, adaptée à l’âge et au contexte culturel, et visant à développer les compétences des jeunes en matière de respect, de consentement et de santé relationnelle. Dans cette optique, les enseignants, les travailleurs sociaux, les parents, mais aussi les pairs, deviennent des acteurs clés de la promotion de la santé sexuelle.
L’INTERVIEW / La prévention et l’éducation en santé sexuelle : quels défis ?
Avec Lola CLAVREUL & Virginie MONNEY
Le numérique, nouvel acteur de la santé sexuelle ?
Par ailleurs, les nouveaux médias et les réseaux sociaux jouent un rôle croissant dans la diffusion d’informations, fiables ou non, sur la sexualité. De nombreuses personnes y trouvent des réponses à leurs questions, en l’absence de sources officielles ou de dialogue dans leur entourage. Cette évolution invite à repenser les canaux de communication utilisés par les professionnels, et à reconnaître l’importance d’une co-construction des savoirs entre spécialistes et citoyens.
L’INTERVIEW / Quel est le rôle du numérique dans la sexualité ?
Avec Tania LEJBOWICZ & Armelle ANDRO
Conclusion
Réduire la santé sexuelle à une affaire de spécialistes serait une vision restrictive et inadaptée aux enjeux contemporains. Bien que les professionnels de santé soient indispensables pour traiter certains aspects médicaux, la santé sexuelle englobe une multiplicité de dimensions qui en fait un véritable enjeu de société.
Dès lors, la santé sexuelle ne peut plus reposer uniquement sur les épaules des spécialistes. Elle doit être pensée en lien avec l’école, les médias, les familles et les institutions sociales. Elle ne peut être pensée ni exercée sans la participation active de tous les acteurs sociaux. Car pour être en bonne santé sexuelle, il faut bien plus qu’un diagnostic ou une ordonnance : il faut du dialogue, de la liberté, de l’écoute et du respect.
Rédaction : Frédéric GALTIER, référent santé sexuelle – Promotion Santé ARA – Décembre 2025
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[1] G. Meystre-Agustoni, A. Jeanin, K.de Heller (et al.), Talking about sexuality with the physician : are patients receiving what they wish ? Swiss medical weekly, 2011
[2] Santé publique France. (2021). *État de la santé sexuelle en France*
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